Glossaire - Biographies
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- Vie de St Honorat

Saint Honorat, fondateur de Lérins et évêque d'Arles. L'archipel de Lérins, au large de Cannes, est formé de 2 îles. La plus grande est l'île de Sainte Marguerite, celle que l'on découvre la 1ère à l'horizon. Derrière elle se cache l'île plus petite de Saint Honorat. Elle porte le nom du Saint dont nous allons faire connaissance.

- les Incertitudes

C'est St Hilaire d'Arles, successeur d'Honorat sur ce siège épiscopal, qui nous renseigne le mieux sur la vie d'Honorat. Les autres sources d'information sont peu nombreuses et très fragmentaires. Les repères chronologiques font défaut. La seule date qu'il soit possible de fixer, sans certitude absolue cependant, est celle de sa mort, en Janvier (†430). Mais comme on ignore son âge exact au moment de son décès, il est bien difficile de savoir à quelle date précise il est né. On suppose qu'Honorat a pu voir le jour vers (370) à Trèves. A l'époque Romaine, cette ville de Rhénanie s'appelait "Augusta Trevirorum". Centre des opérations militaires des Romains sur le Rhin, c'était une des villes les plus importantes de l'Empire. Elle fut la patrie non seulement de st Honorat, mais aussi de St Ambroise de Milan et de... Karl Marx ! St Athanase y fut envoyé en exil. Mais peu importe. Car bien plus passionnante et attachante est la sainteté d'Honorat, si l'on considère la noblesse de ses origines et les talents qui le destinaient à une brillante carrière civile.

- La conversion d'Honorat

Honorat appartenait à l'aristocratie Gallo Romaine pour qui le consulat apparaît encore, au (Vème siècle), comme le plus beau couronnement d'une carrière. Sa famille était aisée. Elle possédait des domaines dont Honorat hérita avec son frère à la mort de leur père. Ce dernier était probablement déjà avancé en âge au moment de la conversion de son fils. L'enfance d'Honorat fut choyée, sa jeunesse se passa dans la richesse et le luxe. Il reçut une éducation classique. Hilaire parle avec admiration et vénération des lettres écrites par Honorat. Il nous dit aussi que, devenu évêque d'Arles, Honorat prêchait chaque jour avec perspicacité et clarté, surtout lorsqu'il dissertait sur la divine Trinité. La vocation religieuse d'Honorat se manifeste très tôt et le désir du baptême semble lié à l'attirance qu'il éprouve pour la vie monastique. Et c'est ce renoncement au monde qui va entraîner l'hostilité de sa famille, en particulier celle du père qui voyait s'effondrer tous les espoirs placés en son jeune et brillant fils. Doit-on déduire de cette attitude que sa famille était païenne ? Cela n'est pas évident. Car le milieu où grandit Honorat était sûrement imprégné de christianisme. Sinon, comment son désir du baptême aurait-il pu se manifester si tôt.

D'après Hilaire d'Arles, le jeune Honorat n'avait à cette époque pas plus de 12 ans. Son père chercha donc par tous les moyens à le détourner du baptême et tenta de le distraire par toutes sortes de divertissements, chasse, jeu de balle, course, saut, natation. Mais ce fut en vain, Honorat tint bon et patienta jusqu'à l'adolescence. Il entama alors un catéchuménat qui dura 3 années. C'est bien un tout jeune homme qui s'élance alors vers la vie religieuse. Son frère aîné, Venantius, se convertit à son tour. Et tous 2 se mirent à pratiquer l'ascèse dans leur patrie, à Trèves. Dans leur demeure, dont ils ont hérité, et qui avait connu le faste et les brillantes réceptions, ils accueillaient les voyageurs et offraient l'hospitalité aux pauvres sur leurs propres terres. Ils cherchaient en tous points à mettre en pratique les préceptes de l'Evangile. Et ils y réussirent si bien que leur renommée se répandit et déborda la ville et la contrée, au point que, effrayés par leur propre gloire, ils décidèrent de fuir en vendant tous leurs biens afin d'en distribuer aux pauvres les bénéfices.

- Le voyage en Orient

Voici donc nos 2 frères escortés par leur ami Caprais, quittant leur patrie pour échapper avant tout à une renommée encombrante qu'ils jugent contraire à leur esprit d'humilité. Où songent-ils aller ? Nul ne le sait. Ils recherchent d'abord l'obscurité dans un pays étranger. Rien ne nous dit qu'ils aient eu l'intention de gagner des contrées lointaines comme l'Egypte ou la Palestine, pépinières du monachisme Oriental. Ils s'embarquent à Marseille pour rejoindre la Grèce. Hélas, Venantius y meurt. Et Honorat, malade, après ce séjour malheureux, revient en Occident afin de poursuivre son ascèse sous des cieux plus cléments. Après un bref séjour en Italie, où il noue des liens d'amitié avec les communautés chrétiennes du pays, il rentre en Gaule du Sud pour s'installer à Lérins.

- L'installation à Lérins

C'est par la route et à pied que Caprais et Honorat, cheminant sur la voie Aurélienne, la via Aurelia longeait la côte de Toscane et menait en Gaule, empruntent le vallon de Laghet, se désaltérant peut-être à la source au pied de laquelle s'élèvera au (XVIIème siècle) le sanctuaire marial de N.D. de Laghet. Ils passent la nuit à Cimiez, alors grande cité Romaine. Puis, reprenant la belle route tracée sous les oliviers, les pins et les chênes lièges, ils franchissent le Var au gué de St Christophe, et continuent vers St Jeannet et Vence. Délaissant Antibes, grand port Romain à l'époque, ils cheminent le long de la mer, puis remontent jusqu'à Vallauris, pour atteindre enfin le Castrum qui, de la colline du Pézou, domine l'actuelle rade de Cannes. Honorat et Caprais sont saisis par l'admirable paysage. Baignant dans les eaux bleues de la Méditerranée, 2 îles s'étendent à quelques brasses du rivage : Léro et Lérina. Suivant sans peine la voie Aurélienne, ils s'enfoncent dans les massifs boisés de l'Estérel, puis empruntant une voie étroite qui s'élève vers un col, entre le pic d'Aurelle et le pic du Cap Roux, ils s'y arrêtent pour y passer la nuit. Ils aperçoivent des châtaigniers sous l'ombre fraîche desquels coule une source limpide. On peut aisément imaginer qu'ils trempèrent dans l'eau vive leurs mains et leur visage brûlé par le soleil, et qu'ensuite ils mangèrent des châtaignes et les fruits rouges des arbousiers selon la saison durant laquelle eut lieu leur voyage. Caprais connaissait sans doute les lieux. Cherchant un refuge pour la nuit, les 2 pèlerins escaladèrent le pic du Cap Roux. Presqu'au sommet, une excavation du rocher forme une grotte profonde où ils s'installèrent. Ils se mirent à prier. Lorsqu'ils achevèrent leur prière, la nuit était tombée, vivante de milliers d'astres. Elle leur faisait penser au désert. Ils s'endormirent dans la paix.

Le lendemain, ils reprirent leur route, abandonnant avec regret ce lieu privilégié de parfaite solitude. Après une étape à Agay, ils atteignirent Fréjus, grande cité romaine militaire où ils s'arrêtèrent. Ils avaient une lettre de recommandation pour Léonce, le nouvel évêque qui dirigeait la petite communauté chrétienne. Hilaire d'Arles ne nous dit pas combien de temps Honorat et Caprais demeurèrent à Fréjus. Peut être fût ce plusieurs années, car Léonce avait besoin de missionnaires pour évangéliser la région. Par contre, nous savons qu'Honorat devint célèbre et que les foules accouraient de loin pour entendre sa parole. Mais cette célébrité lui devint pesante et pour finir intolérable. L'appel de la solitude retentissait en lui de façon de plus en plus impérieuse. Il fallut donc partir. La grotte du Cap-Roux, perdue dans le désert odorant du massif de l'Estérel, avec sa source au pied de la montagne, l'appelait. C'est là qu'avec Caprais il tentera de mettre en pratique les enseignements des Pères du désert. Honorat descendait parfois de la montagne pour exercer son apostolat auprès des pêcheurs du petit port d'Agay. Mais bientôt la grotte reçut la visite des quémandeurs. Il fallut donc partir à nouveau ! Mais où ? A Lérins, bien sûr, sur la petite île qui ressemblait à un désert. Honorat demanda à un pêcheur d'Agay de les conduire sur l'île. Ce fut la stupeur et un concert de lamentations, l'île était petite, inhabitable, sans eau, remplie de serpents. Mais rien de tout cela ne fit peur à Honorat ni à Caprais. Finalement, il se trouva un pêcheur assez courageux, ou assez inconscient ! pour accepter de les conduire à Lérina. Personne ne croyait qu'ils y resteraient plus d'une journée.

La légende raconte que, lorsque Honorat posa le pied sur Lérina, celle ci trembla ! Les serpents grouillaient partout. Honorat étendit les mains et invoqua le Christ. Aussitôt tous les serpents expirèrent en provoquant une odeur pestilentielle. Honorat se remit alors à prier. Le vent se leva et un raz de marée balaya l'île. Honorat et Caprais s'étaient réfugiés en haut d'un palmier. Quand la mer se retira, l'île était purifiée, le soleil brillait et dans les buissons chantaient les premiers oiseaux venus du continent. Mais passons de la légende à la réalité. Honorat et Caprais arrachèrent petit à petit les ronces, les salsepareilles, et bientôt abondèrent lentisques, cistes, genévriers et genêts. Honorat et Caprais bâtirent 2 abris sommaires avec des pierres plates et des branchages, et ils reprirent la vie érémitique commencée au pic du Cap Roux. Ainsi, peu à peu, dans l'absolue solitude de Lérins à peine troublée par le passage, de temps en temps, d'un pécheur qui apportait l'eau et quelques galettes de pain, offrande du petit peuple fidèle d'Agay, Honorat se préparait à la plus haute perfection, en compagnie de Caprais.

Mais, comme il fallait s'y attendre, l'installation d'Honorat et de Caprais à Lérins provoqua un grand mouvement de curiosité sur tout le littoral. Et au grand désappointement des 2 solitaires, se produisit le contraire de ce qu'ils avaient espéré, de plus en plus nombreuse la foule réapparut devant leur ermitage. Certains, parmi cette foule, touchés par l'exemple des deux moines, se construisaient un abri sur le rocher, quémandant humblement chaque jour un conseil pour se livrer à leur tour aux mortifications corporelles et à la purification de l'esprit, prélude au grand voyage vers les immensités intérieures où les happait l'irrésistible appel de Dieu. Peu à peu se constituait sur l'île, contre le désir des 2 moines, ce type intermédiaire entre l'érémitisme et le monastère organisé, la laure, où chacun vivait seul dans son abri pour se retrouver le dimanche à la célébration de la synaxe eucharistique. L'évêque Léonce avait ordonné prêtre Honorat qui s'en était défendu en vain. Après avoir longuement prié, Honorat demanda conseil à l'évêque Léonce, et il se décida, à l'heure même où Cassien songeait à fonder à Marseille le grand monastère de St Victor, à faire à son tour acte solennel de cénobitisme. Il grouperait autour d'une règle monastique commune inspirée des Pères, les hommes épris de Dieu et prêts à tout quitter pour son seul amour. Peu d'éléments permettent de fixer la date de la fondation du monastère de Lérins. La première mention remonte à Paulin de Nole, dans une lettre adressée à Eucher de Lyon entre (412) et (420). Aux environs de (427), Cassien parle à propos de Lérins d'une immense communauté de frères, ce qui laisse entendre que le monastère existait depuis plusieurs années. On situe généralement dans la 2ème décennie du (Vème siècle) l'installation d'Honorat sur l'île, donc vers (410).

- La vie à Lérins

Pour désigner l'île d'Honorat, Hilaire d'Arles utilise à plusieurs reprises le mot désert selon une tradition qui remonte aux premiers moines d'Orient qui, dès le (IIIème siècle) avaient choisi de vivre en solitaires dans les déserts égyptiens notamment. Ce mode d'existence fut révélé à l'Occident grâce à la Vie de St Antoine composée par St Athanase vers (357) et traduite du Grec en Latin vers (370)-(374) par Evagre d'Antioche. Mais si les déserts se peuplent de moines, vivant chacun dans sa cellule et se regroupant de temps à autre auprès d'un père spirituel, on sait qu'il existe aussi, dans tout l'Orient chrétien antique, Egypte, Syrie, Asie Mineure, un autre type d'organisation monastique qui privilégie la vie en communauté et dont St Pacôme fut le fondateur. De (358) à (379), Basile de Césarée, par exemple, fonde et gouverne des monastères auxquels il donne des Règles monastiques. Or, depuis (397), circule une traduction en Latin de la rédaction primitive de l'oeuvre de St Basile, le Petit Asceticon. Il est possible qu'Honorat ait connu cette version lors de son passage en Italie. Parmi tous les modèles de vie monastique il n'est pas facile de dire quel est celui que choisit Honorat.

Au départ, c'est vers une forme de vie Cénobitique que tous les indices nous orientent. Et nous avons vu qu'en (427) Cassien parle d'une immense communauté de frères. Le mot utilisé par Cassien est Coenobium, qui désigne précisément un monastère où l'on vit en communauté, selon une règle. Honorat n'a jamais eu comme St Antoine le désir de vivre dans un isolement complet. Il brûle, c'est vrai, d'être retranché du monde. Mais dès lors que d'autres hommes éprouvent ce même besoin, il ne les rejette pas. Et ce nombre devint suffisamment important pour justifier la construction d'une église et de bâtiments adaptés à l'habitat des moines. Le récit de St Hilaire d'Arles, qui suit l'ordre chronologique, permet de penser que ces installations ont été réalisées très tôt. S'il y a eu une expérience de la vie érémitique pour Honorat, celle ci n'a pas duré longtemps. Car le témoignage d'Hilaire montre bien qu'Honorat est toujours resté en contact avec les communautés chrétiennes auprès desquelles il s'était installé. Les liens noués en Italie avec le clergé, l'affection qui l'attache à l'évêque de Fréjus, sont autant de preuves de l'importance que Honorat a toujours accordée aux relations humaines. Et l'évêque Fauste de Riez, dans un passage de son sermon dédié à Honorat, nous dit. En vérité, ils ont été comblés de joie ceux qui ont eu le bonheur de vivre aux côtés d'Honorat, de manger avec lui et d'être soldats de Dieu sous sa discipline

- Discipline et Règle

Le renom du fondateur de Lérins a dépassé très vite les limites de la Provence et du Sud de la Gaule. Le retentissement de Lérins, son rayonnement da pas tardé à susciter des vocations illustres, Hilaire d'Arles, Loup de Troyes, Hucher de Lyon, Vincent de Lérins, Fauste de Riez, Salvien de Marseille. Tous ont vécu dans l'île avant l'an (430) et parmi ces hommes qui venaient rejoindre Honorat, beaucoup étaient originaires du Nord de la Gaule. Les textes d'Hilaire d'Arles et de Fauste de Riez parlent de la vie harmonieuse des membres du monastère regroupés autour de son fondateur. Les deux auteurs insistent sur le rôle essentiel que joue Honorat à la tête de sa communauté. Fauste de Riez insiste tout particulièrement sur sa fonction de pasteur attentif qui veille, en gardien vigilant de son troupeau, et qui lui montre le chemin de la vie éternelle. Chef spirituel, guide infatigable, tel Moïse il ouvre le chemin du désert et délivre ses frères de la servitude. Avec Caprais qui n'a jamais quitté Honorat, ils étaient comme les 2 colonnes qui précédaient les fils d'Israël pour leur montrer la route.

Les moines étaient donc soumis à une discipline qu'Honorat se réservait le droit d'adapter à chacun. La 1ère des exigences était l'obéissance, première vertu du vrai moine. L'autorité d'Honorat s'exerçait dans tous les domaines de la vie quotidienne, travail, sommeil, nourriture étaient selon Hilaire d'Arles, adaptés à la constitution physique de chacun. Honorat avait le souci d'apaiser les querelles qui pouvaient naître entre les frères, et de maintenir la cohésion de sa communauté. La soumission des moines à ses exhortations s'accompagnait en retour d'une sollicitude constante à l'égard de chacun. Honorat s'efforçait ainsi de rendre plus léger le joug du Christ, et de faire naître la joie dans le coeur des frères. Cette joie de vivre sous la discipline d'Honorat est mentionnée par Fauste de Riez dans un passage où il évoque la Sainte Règle qui permet au monastère d'assurer sa solidité. L'emploi du mot règle ne suffit pas à attester l'existence, à Lérins, d'une règle monastique rigoureusement définie. Il peut s'agir simplement d'un ensemble de préceptes qu'Honorat a appliqués à Lérins. Cette règle ou ces préceptes tirés de l'enseignement des moines d'Egypte, semblent n'avoir jamais été formulés par écrit.

Ce qui ne signifie pas que la Règle n'ait jamais existé. De toute manière, nous savons par Hilaire d'Arles et par Fauste de Riez, les principaux témoins de St Honorat, que l'obéissance, l'humilité, l'égalité d'humeur, l'amour fraternel, le silence, les jeûnes et les mortifications, la célébration liturgique et la prière personnelle, la méditation et le travail manuel étaient de rigueur à Lérins, et que tout cela faisait office de Règle. Honorat fuyait la renommée, mais plus il la fuyait plus elle s'attachait à lui, et qu'il le voulût ou non, partout où il allait, la renommée l'accompagnait. Car, par l'exemple de ses vertus il régénérait tous les lieux où il séjournait. Partout, nous dit Hilaire d'Arles, il répand la manne et exhale le doux parfum du Christ. Son monastère était un phare, dont la réputation s'étendra très tôt à toute la Gaule. Il attirait une multitude de visiteurs, de pèlerins, et surtout des pauvres venus des régions les plus diverses. Honorat distribuait sans compter et parfois son trésor se trouva épuisé. Sa foi ne le fut jamais. Et Hilaire nous raconte qu'un jour le coffre ne contenait plus qu'une seule pièce d'or. Un pauvre se présenta, Honorat la lui donna et à Hilaire inquiet il dit, "Puisque nous n'avons plus rien à donner, il est bien certain que quelqu'un est en route pour nous apporter de quoi pouvoir le faire encore." Effectivement, à la tombée du jour, un donateur se présenta. Avec la charité, le secret de la réussite d'Honorat était la joie. Tel fut Honorat, fondateur de l'abbaye de Lérins en Provence. Mais sa réputation allait lui jouer, une fois encore, un drôle de tour. A la mort de l'évêque d'Arles, il allait devoir quitter son île bienheureuse pour être, contre son gré, placé sur le siège épiscopal d'Arles.