Glossaire - Biographies -

- Saint Honorat, évêque d'Arles

Honorat avait été ordonné prêtre malgré lui par l'évêque Léonce de Fréjus. Et lui qui avait toujours fait preuve d'une humilité exemplaire et souhaitait finir sa vie dans la solitude, la paix et même l'oubli, devait donc recevoir la consécration épiscopale pour siéger à la tête de l'une des plus importantes métropoles chrétiennes. Car, après qu'ils furent chassés de Trèves, "ville natale de notre Saint", les Empereurs Constantiniens s'étaient installés en Arles, devenue, en (395), capitale des Gaules et de l'Empire. De ce fait, l'évêque d'Arles était le primat des Gaules. Plus tard cette fonction sera transférée à Lyon, encore aujourd'hui l'archevêque catholique de Lyon a le titre de primat des Gaules. Ce siège épiscopal était donc très important. C'est ce qui explique les luttes partisanes socio-politico- religieuses qui, hélas, entourèrent souvent l'élection de l'évêque métropolitain d'Arles.

L'élection d'Honorat eut lieu par surprise et derrière son dos. Il n'avait même pas été consulté ! Aussi ne voulut-il pas de ce siège épiscopal. De plus, l'abbaye de Lérins n'était pas du tout décidée à laisser partir son Abbé. Hilaire déclara aux Arlésiens, sans y mettre de formes "Qui vous a donné le désir de posséder pour vous cet homme, au détriment de ceux à qui Dieu l'avait accordé en son désert" ? Bien entendu, ce désir provenait de la haute réputation d'Honorat, déjà considéré comme un Saint et comme un organisateur de premier ordre. On savait aussi que c'était un homme de paix. Il ne réunit pourtant pas sur son nom l'unanimité des suffrages. Mais l'affaire fit grand bruit. Alerté, le pape, Célestin ler, qui n'avait aucun grief contre Honorat, écrivit en (428) à tous les évêques du Sud-Est de la Gaule pour leur demander qu'à l'avenir :

"un prêtre ne soit élu, venant d'une autre Eglise, que dans le cas où aucun clerc de l'Eglise à pourvoir ne serait jugé digne, ce que nous croyons, ne pouvoir se produire. Il faut réprouver le fait de préférer ceux des Eglises étrangères, ne pas faire appel à des étrangers de peur que l'on ne paraisse avoir établi une sorte de nouveau collège d'où seraient tirés les évêques".

Or, c'est exactement ce qui allait se produire avec l'abbaye de Lérins, qui deviendra, au (Vème siècle) et (Vlème siècle), la pépinière des évêques du Sud de la Gaule. Honorat ne se rendit pas immédiatement aux Arlésiens. Il lui fallait réfléchir et prier. Et ce n'est qu'après de longs mois de tractations et de supplications qu'il accepta. Il savait que son oeuvre de Lérins était solide. Mais il se savait aussi malade et en sursis. Il renonça à finir sa vie dans la paix de son île, et se jeta dans ce guêpier politico socio religieux de la métropole d'Arles, car il y aperçut finalement la volonté de Dieu de l'y voir rétablir la concorde et l'amour fraternel. Après avoir dit un adieu, qu'il savait n'être pas un au revoir, à ses moines, il prit la route d'Arles.

Mais Arles lui paraissait tellement redoutable qu'il emmena avec lui deux moines, Jacques d'Assyrie et Hilaire qui, lui, ne supporta pas la ville et s'en retourna promptement à Lérins. Quand Honorat s'assit sur le siège épiscopal d'Arles, il trouva les caisses du trésor pleines de richesses amassées par ses prédécesseurs. Le dernier, Helladius, était pourtant un moine. Honorat n'hésita pas et, nous dit Hilaire :

"il exclut tout amas d'injustes richesses, et tout ce qui avait été accumulé sans but fut enfin affecté à des usages légitimes. Ceux qui étaient morts commencèrent à bénéficier de leurs trésors et les donateurs purent enfin éprouver les soulagements qu'ils avaient voulus en faisant leurs offrandes. Il ne réserva, pour l'évêché, que ce qui devait suffire aux nécessités du ministère".

Alors la ville commença à respirer, et la concorde revint dans les coeurs. Honorat fit rapidement l'unanimité dans son diocèse. Mais l'effort fut énorme. Le 6 Janvier (430), bien que faible, il voulut prêcher dans sa cathédrale. A son retour, il dut s'aliter.

- La mort d'Honorat

A cette nouvelle, ses amis du diocèse d'Arles et de l'île de Lérins accoururent à son chevet, Hilaire en tête, qui nous dit "Leur douleur lui était plus pénible que la sienne propre". Et s'adressant à Hilaire lui même il demanda "Pourquoi pleures tu ? Est-ce pour cette loi commune à l'espèce humaine Faut-il que mon départ te trouve mal préparé, alors qu'il n'a pas pu me surprendre ?" Lorsqu'il entra en agonie, les corps constitués affluèrent, ainsi que le préfet en exercice et les anciens préfets, selon l'usage de l'époque. Le Saint ne manqua pas une si belle occasion de les chapitrer. Et, toujours grâce à Hilaire, nous possédons l'unique sermon qui ait été conservé d'Honorat :

"voyez quelle fragile demeure nous habitons ! Si haut que nous montions, la mort nous en fera descendre. Vivez donc votre vie de telle façon que vous ne redoutiez pas le terme, et ce que nous appelons la mort, attendez le comme un simple passage".

Puis, après les avoir menacés de l'enfer, il rappela ce que fut sa règle monastique.

"Il faut que l'esprit reconnaisse sa nature supérieure et livre combat aux vices charnels. Ce n'est qu'à ce prix qu'il conservera l'une et l'autre substance sans tache pour la paix éternelle".

Enfin, il lança un suprême avertissement concernant tous les moines de l'avenir:

"Que nul parmi vous ne soit prisonnier de l'amour excessif dit monde. Que personne ne s'abandonne aux richesses".

Et il répétera avant de s'endormir dans la paix de la mort:

"Que nul ne soit l'esclave de l'argent, que nul ne se laisse corrompre par la vaine apparence des biens terrestres. C'est un crime de faire un instrument de perdition de ce qui pourrait vous servir à acheter le salut, et de rendre esclave au moyen de ce qui pourrait vous reconquérir la liberté".

Il se mit alors à parler de tous ceux qu'il avait aimés et chargea ses amis de leur faire parvenir un dernier message. Et à la demande du clergé, il désigna son successeur Hilaire.

Mais le moine ne rêvait que de retourner à Lérins, ne souhaitant rien moins que cette charge épiscopale. Honorat reposait maintenant, calme et détendu. Il se laissa envahir par une sorte de sommeil. Croyant qu'il allait mourir, ses amis le secouèrent. Il ouvrit un oeil et leur dit malicieusement:

"Je m'étonne que, me voyant si bas et sachant combien j'ai été longtemps privé de sommeil, vous ne puissiez seulement me laisser dormir !".

Il se moqua d'eux avec tendresse, puis il se tut et entra dans le sommeil de la mort. Hilaire a ce mot étonnant. Alors sa vie s'éteignit presqu'avant sa bonté. La mort d'Honorat, très douce, sans combat, fut accompagnée de phénomènes étranges. A l'instant même où son esprit quittait son corps, au milieu de la nuit, de nombreux arlésiens réveillés furent frappés, par la vision du Saint que recevait une cohorte céleste. Tous se levèrent puis coururent jusqu'à l'évêché.

"On aurait dit, note Hilaire, que tout le monde avait été réveillé par un avertissement des anges".

- Les obsèques d'Honorat

Accompagné du peuple, le corps fut conduit à la cathédrale. Honorat était revêtu de ses riches habits épiscopaux qu'il n'avait jamais portés de son vivant ! En effet, épris de simplicité et d'humilité, il avait toujours préféré la bure du moine. Après la célébration dans la cathédrale, le corps fut transporté solennellement jusqu'au cimetière extérieur des Alyscamps. Alors une dispute éclata entre les prêtres de Saint Etienne, c'est-à-dire la cathédrale, et les moines de Lérins, chacun revendiquant âprement l'honneur de porter le corps. Avant que ce dernier ne disparaisse dans le sarcophage de pierre taillée, la foule se précipita et lui arracha ses vêtements pour en faire des reliques. Quant aux reliques proprement dites, les ossements, elles eurent une longue histoire. Les moines de Lérins ne reçurent qu'un os. Plus tard, le corps du Saint fut déposé dans la chapelle de Saint Genès des Alyscamps, puis dans l'église St Honorat dès qu'elle fut construite. Il y demeura presque un millénaire. En (1390), des pillages firent craindre pour les biens d'Arles. L'Abbé de Ganagobie, dans le département actuel des Alpes de Haute Provence, qui en avait la garde, transporta les reliques du Saint chez lui. Mais, à cette époque médiévale, les reliques représentaient un tel trésor qu'il offrit à l'abbaye de Lérins de les récupérer, pensant qu'elles y seraient mieux en sécurité qu'à Ganagobie. Il ne posa qu'une condition, aussitôt acceptée, d'être admis comme moine à Lérins. Lorsque le 20 Janvier (1391), les reliques arrivèrent à Lérins, l'abbé, Jean de Tournefort fit ouvrir le reliquaire. Au milieu des ossements un certificat en attestait l'authenticité. L'Abbé fit apporter l'os que possédait son abbaye, lequel, remis à sa place, s'adapta parfaitement. En (1788), les reliques furent distribuées au diocèse de Grasse. Comme on vient de le voir, le corps de St Honorat demeura longtemps en Arles, ce qui contristait beaucoup les moines de Lérins. Mais Fauste de Riez, un autre témoin de la vie d'Honorat, les en consola,

"Ne croyons pas avoir quelque chose de moins du fait que la cité d'Arles revendique comme sa propriété les restes de ce corps. Qu'ils détiennent le réceptacle de l'esprit, le Corps, nous, nous conservons l'âme elle-même, en ses effets merveilleux. Qu'ils détiennent les os, nous les mérites. Honorat se souviendra de l'un et de l'autre lieu, mais il se doit à Lérins à un titre spécial. Car, s'il cultiva avec soin Arles, cette vigne du Seigneur, il a cependant planté le premier cette vigne, Lérins".

- Les miracles de Saint Honorat

Ecoutons le sermon d'Hilaire devenu évêque d'Arles, pour l'anniversaire de la mort de St Honorat.

"Que ta gloire est grande et illustre, Honorat ! Tes mérites n'ont pas eu besoin d'être illustrés par des miracles. Ta vie elle-même pleine de vertus, et exaltée par une admiration renouvelée, a servi en quelque sorte de miracle perpétuel. Nous savons tous, nous qui vivions auprès de toi, que les dons nombreux que Dieu t'a accordés ont tenu lieu de miracles. Mais, pour ta part, tu en faisais bien peu de cas, et tu te réjouissais bien plus de savoir tes mérites et tes vertus consignés par Dieu que de voir les hommes relever tes miracles. Et pourtant, quel plus grand miracle de la vertu peut-il exister que de fuir les miracles et de cacher ses vertus ? Et en vérité, ta prière était, pour ainsi dire, si familière aux oreilles du Christ, que tu as obtenu, je crois, par les supplications si ferventes, de ne pas voir des miracles proclamer ta vertu. La paix a aussi ses martyrs; car aussi longtemps que tu as habité ton corps, tu as toujours été le témoin, rappelons que martyr vient d'un mot grec signifiant témoin, du Christ. Il n'y eut jamais sur tes lèvres que la paix, la chasteté, la piété, la charité. Il n'y eut jamais dans ton coeur que le Christ. Ceux qui désiraient Dieu ont trouvé en toi un secours commun à tous. St Honorat avait l'habitude de rapporter à ses moines ses songes."

Hilaire écrit à ce propos,

"ils n'étaient pas prophétiques, ils n'étaient pas provoqués par quelque inquiétude pour l'avenir, mais ils étaient suscités par les aspirations d'une âme qui ne connaît pas le repos. C'est le martyre, sur lequel portait sans cesse ta méditation, que tu subissais, tandis que le Seigneur prenait plaisir, je crois, à faire naître en toi le désir, et c'était comme une persécution menée contre ta foi. En vérité, personne, je pense, ne peut nier que, pour subir le martyre, c'est l'occasion et non pas le courage qui t'a manqué".

St Hilaire attribue sa conversion à St Honorat. Il n'en parle pas comme d'un miracle, et pourtant, nous pourrions y voir un miracle. Honorat, en effet, avait été averti par des amis venant de Trèves et de passage dans son monastère, qu'Hilaire et d'autres jeunes gens vivant encore à Trèves, menaient une vie de débauche. Hilaire était apparenté à Honorat. Dès qu'il entend cela, il ne rejette pas, malgré ses ennuis de santé, la perspective d'un long voyage. Il revient dans sa patrie, afin de sauver Hilaire. Mais, en ces années-là, Hilaire était attaché au monde et rebelle à Dieu. Honorat l'exhorte avec tout son talent à ouvrir son coeur à Dieu. Mais, nous dit Hilaire lui-même,

"ses paroles pleines de piété ne pénétraient pas dans mes oreilles ... je résistais.. et faisais le serment de ne pas céder".

Et cependant, par une vision presque prophétique Honorat lui prédit.

"Ce que tu me refuse Dieu me l'accorde". Et Hilaire conclut, "C'est ainsi, oui, c'est ainsi que la prière d'un Saint ramène les fugitifs, c'est ainsi qu'elle dompte les obstinés, c'est ainsi qu'elle soumet les rebelles".

Fauste de Riez, lui aussi, a bien connu Honorat, en tant que moine à Lérins. Il en fait aussi l'éloge, non point en Arles, mais à Lérins.

"En vérité, mes frères très chers, dit-il aux moines de cette abbaye, ils ont été comblés de joie ceux qui ont eu le bonheur de se trouver face à face avec cet homme angélique. Et celui qui se sera efforcé d'être l'héritier de ses mérites ici bas, aura le bonheur d'être aussi un jour le cohéritier des faveurs qu'il a reçues. Or, alors qu'il s'était élevé au faîte de ses vertus, il n'a jamais pensé qu'il fallait mettre sa confiance en lui seul. Mais il avait pris comme assistant et collègue le bienheureux Caprais, et il s'en remit, pour tout ce quel avait à régler ou à exécuter, à l'examen et à la décision de celui-ci, comme à la plus juste balance du jugement. En sa compagnie, il a introduit dans ce désert la gloire du Christ et, tel Moïse en compagnie d'Aaron, il a établi un camp pour tous ceux qui sont destinés à marcher vers la terre promise. En effet, aussi longtemps que celui-ci, tel Moïse, a élevé ses mains saintes, ici, il a toujours sauvegardé l'invincibilité de son peuple contre Amaleq, c'est à dire contre le diable. Aussi, mes très chers frères, gardons surtout l'orthodoxie de la foi; croyons que le Père et le Fils et le Saint Esprit sont un seul Dieu. Gardons l'esprit d'obéissance qu'il conseillait toujours plus particulièrement et avec plus d'empressement, car si un moine ne le possède pas, il est vraiment pauvre et nu. En effet, quand le premier homme eut manqué au devoir d'obéissance, il sut qu'il était nu. Gardons aussi l'humilité, la vraie".

Fauste de Riez considère comme des miracles réalisés par Honorat le fait qu'il a, par sa foi, écarté le poison des bêtes venimeuses : l'île de Lérins était alors infestée de serpents. Et, non seulement, affirme Fauste,

"il a marché sur l'aspic et le basilic, mais il a restauré chez beaucoup d'hommes l'image, peut-être déjà perdue, du Christ. Tantôt il changeait des bêtes sauvages en hommes, tantôt il changeait des hommes, pour ainsi dire, en anges".

Car Honorat a mené un combat spirituel pour tuer les vices qui existent en l'homme. Et Fauste de poursuivre. Celui dont je dois faire l'éloge mettait en fuite des esprit malins qui se tenaient cachés, non pas dans le corps, mais dans l'esprit et le coeur ... Il a ramené à la vie des cadavres qui ne possédaient plus ni esprit, ni âme ... S'il n'a pas redonné la vie fragile d'ici-bas, il a fait davantage en montrant le chemin de la vie éternelle.

Fauste compare une fois de plus Honorat à Moïse. Car, tel Moïse dans le désert, Honorat sur son île désertique n'avait pas d'eau. Etant un bon sourcier, "il a fait jaillir du rocher aride une source d'eau douce, non seulement au milieu du désert, mais au milieu de la mer". En effet, sans eau, toute vie humaine eût été impossible à Lérins. Au début, les pêcheurs apportaient à Caprais et à Honorat l'eau du continent. Mais comment vivre nombreux sur cette île sans le miracle accordé par Dieu à St Honorat ? L'image de St Honorat que nous conserverons dans nos mémoires, est celle d'un pasteur doux et bienveillant, priant sans cesse pour son troupeau afin qu'aucune des brebis qui lui avaient été confiées par le Seigneur ne se perde ou ne s'égare. Si Honorat était tant aimé par tous ses moines, s'ils lui obéissaient si bien, c'est parce que lui-même savait être tout pour tous. Aussi rare était la discorde dans ce troupeau. Et pourquoi ne pas lui adresser cette belle prière composée par Hilaire ?

"Souviens toi donc, toi qui es l'ami de Dieu, souviens-toi sans cesse de nous, toi qui te trouves si pur auprès de Dieu, chantant le "cantique nouveau" et suivant l'Agneau partout où il va. Toi qui marches à sa suite, toi notre saint protecteur, l'interprète agréé de nos prières et notre solide défenseur, transmets-lui les supplications répandues auprès de ton tombeau par le troupeau de tes disciples. Obtiens que, dans une aspiration commune, nous méritions de respecter tes ordres et tes enseignements".

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